dimanche 19 décembre 2010

Notes à l’école : le miroir aux alouettes…

J'ai lu récemment dans un journal un texte de Chantal Delsol.

J'ai beaucoup aimé ce qu'elle disait, donc, je vous partage ce texte:

"Un appel de 20 personnalités réclame de supprimer les notes à l’école primaire. La note est un système d’évaluation aux multiples modalités. Notre système de notes va de 0 à 20. Certains pays notent sur dix. Existent encore les échelles de lettres, qui restreignent la graduation : de AàC, par exemple, qui ont déjà été testées en France. Ou des évaluations descriptives, décernées au cas par cas, qui délaissent l’échelle mais peuvent être tout de même des estimations.

La note est ici remise en cause pour deux raisons principales : elle est humiliante ; elle donne lieu à la compétition. On nous rappelle que le jeune enfant affligé de mauvaises notes perd confiance en soi. Il se croit jugé, lui, alors que l’on juge son travail et non sa personne. Il développe la spirale de l’échec. Par ailleurs, la note est un degré dans une échelle. Elle permet de comparer ses propres résultats à ceux des autres. En découle une compétition qui peut être sournoise ou cruelle. La loi de la jungle commence à l’école primaire…

Nouvel accroissement du domaine de la victimisation : il y a trop de souffrance à l’école ! Un tiers des enfants, paraît-il, ont mal au ventre le matin avant de partir… Il vaudrait mieux se demander s’il n’y a pas des souffrances salutaires, et lesquelles. La vie n’est pas un chemin de roses. Et cela, il faut l’apprendre comme le reste, dès le début, mais évidemment de façon appropriée à l’âge et de façon utile. Se donner pour but éducatif d’épargner toute souffrance à l’enfant, ce serait une imbécillité pédagogique. Les parents qui s’y emploient, fabriquent de vieux bébés que tout le monde finit par fuir.

Mais peut-être que cette souffrance-là n’est pas appropriée, qu’elle ne sert à rien. C’est là qu’on entend toutes sortes d’arguments entassés les uns sur les autres, analogues à un inventaire à la Prévert, par exemple : quatre enfants sur dix sortent avec de graves lacunes ; ou : la sélection se fait par l’échec. Tout cela n’a rien à voir avec le sujet. On est ahuri d’apprendre que les lacunes et les échecs proviennent de la notation. Raisonnement étonnant : comme si on prétendait que la maladie avait pour cause la fièvre. Nos grandsparents qui savaient lire-écrire-compter en passant le certificat d’études n’étaientils pas évalués ? On se moque du monde.

Quant à la sélection par l’échec, bien réelle aussi, elle provient de notre obsession des métiers intellectuels, qui fait que l’on envoie en « Technique » ceux qui n’ont pas réussi les dissertations de sciences humaines. Notes ou pas, il faudrait faire valoir à chaque élève les matières où il réussit, au lieu de garder les yeux braqués sur les matières « nobles ». Combien font des études scientifiques sans l’avoir jamais voulu, juste parce qu’ils sont bons en mathématiques ? Le seul succès scolaire possible serait-il d’être bon en mathématiques ? Puis éventuellement en matières littéraires, et surtout pas, malheur, en menuiserie - on ne fait cela que lorsqu’on est incapable en tout. C’est plutôt ce préjugé qu’il faudrait réformer, parce qu’il est stupide et parce que voilà bien une souffrance inutile infligée aux élèves. Simone Weil écrivait dans L’Enracinement : « Un système social est profondément malade quand un paysan travaille la terre avec la pensée que, s’il est paysan, c’est parce qu’il n’était pas assez intelligent pour devenir instituteur. » La souffrance scolaire est là, à tous les niveaux.

Notre système de notation est peut-être devenu inadéquat. Ce n’est pas lui précisément qu’il faut défendre, mais plutôt les justifications qu’il recèle. Tout apprenet la compétition, dont les notes ne sont qu’une expression. Et l’appel contre les notes traduit encore ce paradoxe teinté de cynisme : la plupart des signataires sont passés par des circuits d’excellence, sans lesquels ils n’auraient pas été en position de le signer. C’est à force de compétition, en arrivant en tête dans les sélections qu’ils sont devenus « meilleurs » que les autres, concrétisant eux-mêmes l’inégalité qu’ils récusent si vertueusement. Ce paradoxe confine à un cynisme bien français. Chez nous, il est d’usage de mettre de côté un secteur privilégié hautement compétitif, pour les élites, pendant qu’on veut appliquer à la masse une idéologie égalitaire, qui produit la médiocrité. Autrement dit, la description de la souffrance scolaire tissage passe par une exigence et réclame un effort. Quand il y a apprentissage et effort, il faut une quelconque évaluation. L’élève n’est pas seul au monde, et son travail ne saurait être jugé du point de vue de Sirius. Son travail ne peut être évalué que par rapport à celui des autres – faut-il encore que la distance entre ses performances et celles des autres ne soit pas abyssale, et c’est pourquoi il est absurde d’interdire les classes de niveau, où les écarts moindres limiteraient le sentiment de dévalorisation.

Le fin fond de l’affaire, qui apparaît clairement dans cet appel, c’est l’éternel combat français contre la sélection, les inégalités ressort plutôt de la condescendance pour un peuple auquel il ne faut pas trop demander, pendant que si ce type de réforme était mis en place, les écoles privées compétitives, où les élites inscrivent leurs enfants, garderaient bien entendu le système de notation, là où chaque enfant est voué à entrer dans les grandes écoles, et doit se mesurer dès le départ tel un lutteur de stade… On se rappelle l’époque où les ministres socialistes, pendant qu’ils servaient des discours sur l’égalité républicaine à l’école, inscrivaient leurs enfants à l’École alsacienne. Un discours n’a pas beaucoup de sens s’il est fait seulement pour les autres."

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